lundi 22 décembre 2025

Critiques de la date de changement de la Kiswa

Dans la tradition saoudienne contemporaine respectueuse des rites et du calendrier hégirien, le changement annuel de la kiswa, c’est-à-dire le remplacement de l’étoffe en soie noire qui recouvre la Kaaba à La Mecque, s’opère désormais à l’occasion du début de la nouvelle année lunaire islamique, au 1ᵉʳ Muharram du calendrier hégirien. 

Concrètement, pour l’année musulmane 1447 AH, les autorités ont procédé au retournement du tissu ancien et à son retrait dans la soirée précédant le 1ᵉʳ Muharram, avec la pose de la nouvelle kiswa dans les toutes premières heures du 1ᵉʳ Muharram, ce qui correspondait aux 25–26 juin 2025 selon le calendrier grégorien. 

Cette modalité récente se distingue de l’ancienne coutume séculaire qui voulait que la kiswa soit changée le 9ᵉ jour de Dhu al-Hijjah, à la veille du jour d’Arafat du pèlerinage du hajj. Cette pratique a progressivement été remplacée par celle centrée sur le Nouvel An hégirien, conformément à une décision institutionnelle adoptée au début des années 2020.

En conséquence, la date officielle chaque année dépend du calendrier lunaire islamique et coïncide avec le 1ᵉʳ jour de Muharram, qui varie d’une année à l’autre lorsqu’on le convertit en dates grégoriennes.

Si l’on adopte une grille de lecture nourrie par l’herméneutique classique et par la symbolique rituelle telle que transmise par les écoles traditionnelles, le déplacement du renouvellement de la kiswa du 9 Dhou al-Hijja vers le 1ᵉʳ Muharram soulève plusieurs réserves d’ordre spirituel.

D’abord, l’ancienne date s’enracinait dans la dramaturgie sacrée du hajj : la veille d’Arafat constitue un sommet théophanique où les pèlerins, rassemblés en un seul lieu, actualisent l’héritage abrahamiques et l’unité de la communauté. Le changement de la kiswa placé à cette veille opérait comme un geste liturgique majeur : c’était une manière de purifier la Maison sacrée à l’instant où la communauté entière se tenait à l’épicentre de la miséricorde divine. La synchronie entre l’effort spirituel du pèlerin et le renouvellement matériel du voile couvrait une profondeur symbolique difficilement substituable.

Son transfert au 1ᵉʳ Muharram, bien que juridiquement recevable, peut être perçu comme une désarticulation des signifiants rituels. Le Nouvel An hégirien relève davantage d’un repère calendaire que d’un moment sacralisé par une pratique cultuelle précise. En isolant la kiswa de la dramaturgie du pèlerinage, on risque d’en réduire la portée à une opération administrative, certes solennelle, mais détachée de la respiration rituelle du cycle abrahamique.

Ensuite, nombre de docteurs anciens insistaient sur la cohérence interne des rites : les gestes accomplis dans l’enceinte sacrée ne sont pas interchangeables, car ils participent d’une architecture symbolique où temps, lieu et acte s’imbriquent. En modifiant la date, l’autorité risque d’introduire ce que les juristes qualifient classiquement de tahsîn dun al-ta‘lîl : une amélioration apparente qui ne repose pas sur un motif spirituel intrinsèque, mais sur une rationalité externe, essentiellement organisationnelle.

Enfin, du point de vue spirituel, le risque principal tient à la déritualisation progressive : lorsque le geste n’est plus enchâssé dans une temporalité sacralisée, il perd une part de sa charge contemplative. Le voile de la Kaaba n’est pas un simple ornement ; il est un sceau visible, témoin du lien entre la Bayt Allâh et la communauté. Le déplacer hors de la syntaxe du hajj peut affaiblir cette dimension.

Cela ne signifie pas que le changement soit invalide, mais qu’il appelle une réflexion prudente sur la fidélité au tissu symbolique hérité, et sur la nécessité, dans les matières sacrées, de préserver la continuité qui fonde l’autorité spirituelle des rites.